SOS-Kinderdorf-Forum, Innsbruck, Nr. 34/2007


L’attachement, source de développement

Le psychanalyste anglais John Bowlby est considéré comme le fondateur de la théorie de l’attachement. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, il avait été chargé par l’OMS, l’organisation mondiale de la santé, d’étudier la question suivante : quels sont les effets de la séparation chez les enfants vivant dans des orphelinats et les enfants qui ont été arrachés à leurs familles au moment où leurs pères partaient à la guerre ? Bowlby a pu observer que dans des situations difficiles ou inconnues, les jeunes enfants réagissaient en pleurant, en criant, en s’accrochant ou en suivant quelqu’un et essayaient ainsi de créer un lien de proximité envers une personne de référence importante. En pleurant, par exemple, l’enfant cherche à inciter la personne de référence à rester près de lui, et le fait de s’accrocher lui donne un sentiment de plus grande sécurité lorsqu’il se trouve parmi personnes inconnues. Bowlby appelle ce comportement le comportement d’attachement. Il part du principe que ce comportement est inné. Le comportement d’attachement protège l’enfant dans des situations dangereuses (est plus adéquate dans ce contexte) grâce à des personnes qui lui sont familières et est ainsi essentiel pour sa survie.
En revanche, Bowlby parle de comportement d’exploration pour parler d’un petit enfant qui se sent en sécurité, qui commence à s’éloigner de sa personne de référence pour découvrir curieusement son entourage. Ce comportement d’exploration est un prérequis important pour l’apprentissage et le développement de l’enfant.
Les comportements d’attachement et d’exploration étant complémentaires, la personne de référence sert de havre de sécurité.

Des situations non-familières

L’une de chercheuses les plus réputées du domaine du travail empirique sur le sujet est l’améri-caine Mary Ainsworth. Dans les années 60, elle part avec son mari pour aller travailler en Uganda et y réalise ses premières études longitudinales au sujet du comportement mère-enfant chez les petits et les plus grands enfants. Plus tard, elle poursuit ses études systématiques d’ob-servation à Baltimore en créant une méthode de recherche en laboratoire, devenue un standard pour la recherche sur l’attachement et connue sous le nom de «situation étrange» : en présence de leurs parents, les enfants sont amenés dans une salle de jeux avec un grand nombre de nouveaux jouets et observés très strictement pour savoir avec quels sujets ils s’amusent et pendant combien de temps. Dans des intervalles précis, les mères quittent la salle pour une durée de trois minutes tandis que les enfants, qui se retrouvent maintenant seuls dans une « situation étrangère », sont étudiés pour savoir s’ils continuent à jouer, s’ils jouent moins, s’ils se retirent dans un coin, s’ils se mettent à hurler, essaient de suivre leur mère ou frappent contre la porte. Ce procédé est répété une deuxième fois, avant qu’une nouvelle situation soit crée par le biais d’une personne étrangère qui entre dans la salle de jeux ; cette nouvelle situation est à nou-
veau analysée par rapport au comportement de l’enfant. Le premier résultat de ces recherches en laboratoire conclue que les enfants ont une manière complètement différente d’explorer leur entourage selon que leur mère est présente ou absente.

La mère est la base solide à partir de laquelle l’enfant peut développer son comportement de curiosité. Bowlby et Ainsworth en tiraient la conclusion que c’est dans la relation avec sa première personne de référence que l’enfant très jeune établit un modèle interne opérant¹ concernant son attachement.

Les qualités d’attachement

Un deuxième résultat a été obtenu plutôt au hasard, mais devrait se révéler encore plus impor-tant : la diversité des comportements déployés par les enfants au moment du retour de la mère prouve qu’il existe différentes qualités d’attachement qui ont différents effets sur le comporte-ment des enfants. Mary Ainsworth en a déduit quatre schémas d’attachement différents :

  • le schéma d’attachement sûr
    • le schéma d’attachement angoissé évitant
    • le schéma d’attachement angoissé, ambivalent
    • le schéma d’attachement angoissé, désorganisé

La qualité de l’attachement est décisive pour la vie future, l’univers sentimental, le comportement et la capacité de l’homme de créer, de transmettre et de maintenir des relations/un attachement stables et durables avec d’autres personnes. Dans l’espace germanophone, c’est le couple de psychologues Karin e t Klaus Grossmann qui a acquis des mérites dans la recherche approfondie sur les rapports des expériences d’attachement de jeune âge, les rôles de personnes de références et l’influence d’attachement jusqu’à un âge adulte avancé. Selon leurs connaissances, la sécurité psychique est le facteur qui naît d’un attachement stable. Tandis que la vie est enrichie par la sécurité psychique, elle est limitée par l’insécurité psychique. Une personne sûre au niveau psychique montre un comportement peu ou non-déviant, travaille avec ses proches pour venir à bout des différentes exigences, ne se décourage pas et ne masque pas les contradictions. Aujourd’hui, ces connaissances sont confirmées par des recherches du domaine des sciences naturelles et largement prouvés. Le neurobiologiste Gerald Hüther a évalué les dernières connaissances sur le fonctionnement biologique du cerveau et est arrivé à la conclusion que les
paramètres de dysfonctionnement neuraux que l’homme apprend durant son développement de plus jeune âge et qui ont fait leur chemin dans son cerveau dépendent des expériences sociales faites pendant cette phase de vie essentielle.

Les manifestations des troubles d’attachement

L’absence d’un attachement sûr entraine un stress permanent dans le cerveaux de l’enfant qui peut provoquer trois types de réaction principales. Pendant les premières années de vie entre la naissance et l’âge préscolaire les symptômes suivants se font observer : L’enfant se replie complètement sur lui-même. Il se renferme, se conduit de manière apathique et ne réagit plus aux stimulations de l’extérieur. En outre, les enfants sont enclins à avoir des

(¹par cela on entend les expériences d’interaction socio -émotionnelles de plus jeune âge qui servent de modèle pour de futures relations avec des personnes de confiance.)

infections répétées, mangent mal ou ont un poids insuffisant. Des retards se manifestent, surtout au niveau du développement du langage et de la propreté. Ils ne prennent aucune initiative pour prendre contact avec des adultes ou d’autres enfants. Dès le début, l’enfant hyperactif semble nerveux et inquiet et crie beaucoup. Certains de ces enfants ont du mal à garder la nourriture. Durant la deuxième et troisième année de vie, des difficultés de langage peuvent apparaître. Pendant cette phase, les enfants semblent fébriles et hyperactif et renoncent à la prise de contact intermédiaire (« rétroaction ») avec leur personne de référence. La plupart des enfants chez lesquels seront diagnostiqués plus tard soit le syndrome de déficit d’attention (SDA) ou des troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) font partie de ce groupe. Les enfants éprouvent de considérables difficultés de concentration. D’autres enfants n’aiment pas jouer avec eux, parce qu’ils ne respectent pas les règles. L’enfant devient un marginal. Il répond peu ou pas du tout aux essais des parents et des éducateurs qui cherchent à lui poser des limites. Les parents et les éducateurs sont incapables d’assumer la prise en charge. À l’école maternelle, on conseille à plusieurs reprises de consulter un pédiatre, souvent c’est à cet âge là que se développe une relation étroite avec la psychiatrie pour enfants et adolescents. Un comportement agressif envers des objets et des personnes ne se développe généralement qu’après la première année de vie. Chez certains enfants on peut observer l’application systématique d’agressions dans des situations sociales dès l’âge de la maternelle. Pourtant, ces enfants sont en général particulièrement anxieux et se retrouvent dans des situations nouvelles facilement « avec le dos contre le mur ». Il n’est pas inhabituel que ces enfants fassent encore pipi au lit pendant la nuit. Pendant la période entre l’âge scolaire et la puberté, les troubles de comportement et de développement des premières années de vie se renforcent, si la problématique d’attachement ne rencontre pas de contrepoids suffisant. Chez quasiment tous les enfants, on peut constater une anxiété augmentée qui se manifeste surtout dans des situations nouvelles ou lors de nouveaux défis. Souvent l’enfant éprouve des anxiétés nocturnes ou a peur de s’endormir. Les enfants qui n’ont pas d’attachement avec une personne adulte commencent à cet âge de se débrouiller tous seuls. Des symptomatiques particulières se rajoutent maintenant si un parent psychiquement malade implique l’enfant dans sa maladie. Les symptômes chez les enfants en sont les déprimes ou l’encoprésie. Tant le comportement agressif évident que le comportement sexualisé peuvent relever du fait que les parents n’offrent à leurs enfants qu’un «modèle réduit d’identification», parce qu’ils ne connaissent pas mieux eux-mêmes. Assez régulièrement, le comportement des parents est le résultat de troubles d’attachement qu’ils ont connus eux-mêmes. Avec la fin de la puberté, le développement de la personnalité commence à ne plus être lié à
une personne de référence, mais relève du contact indépendant avec l’environnement social et naturel. Dans cette phase, les adolescents ayant connus des troubles d’attachement dans leur jeunesse déplorent le manque d’un fondement pour un développement de la personnalité stable. Ceci se traduit assez couramment par des déficits intellectuels et donc par des difficultés d’ap-prentissage et des difficultés scolaires. Pour bon nombre de ces adolescents, l’écart entre «grande gueule» et une «petit âme» devient de plus en plus important. Puisque dans la plupart de ces troubles d’attachement des mesures d’éducation « ordinaires » (avec des modèles de sanction, de structuration ou de formation) ne sont pas aptes à soutenir l’adolescent et les entretiens psychothérapeutiques ne donnent pas l’effet souhaité, on établit des diagnostics psychiatriques qui permettent un traitement « efficace » à base de médicaments. Le ritalin, médicament prescrit pendant l’enfance est maintenant remplacé par des neuroleptiques et des antidépresseurs de haute efficacité. Le problème du développement de la personnalité n’est
pas résolu.

Des troubles d’attachement dans un contexte stationnaire

Ne nous faisons pas d’idées : le manque d’attachement sécurisé pendant la plus jeune enfance ne se compensera jamais entièrement plus tard. Une tendance vers un degré d’anxiété, de sensibilité, d’insécurité d’attachement et d’indépendance dans le contact avec son environnement social qui est au dessus de la moyenne subsistera chez l’enfant et chez l’adulte. Cependant, dans la plupart des cas, il est possible d’éviter le pire : une vie en prison ou dans la psychiatrie. Les troubles d’attachement résultant d’un manque d’attachement sécurisé provoquent quasiment un arrêt dans le développement de la personnalité. Afin de le relancer, il est nécessaire d’offrir à l’enfant, à l’adolescent et à l’adulte un attachement sécurisé de remplacement ou – chez les enfants en très bas âge – de stabiliser au moins un des parents de sorte qu’il ou elle soit capable d’offrir un tel attachement.

Impliquer les personnes d’attachement

L’un des composants essentiels d’un attachement sécurisé est une personne d’attachement, quelqu’un d’affectueux, de compréhensif et de disponible. Cette personne doit être stable, forte au niveau émotionnel et clairement «adulte». Les enfants et des adolescents, peu importe s’ils ont 7 ou 17 ans, doivent être considérés comme étant au stade du début de leur développement. Dans ce contexte, il est important de ne pas se laisser déconcerter par les discours de frimeurs que tiennent généralement les adolescents présentant des troubles d’attachement. La voie de communication principale pour le développement de l’attachement est le contact corporel qui doit être doux et compréhensif. Au début, il peut s’avérer utile de se servir de contacts corporels ritualisés. Plus les sens sont éveillés de manière douce et agréable, plus le contact devient intense. Chez les adolescents en particulier, il ne faut jamais oublier de les traiter comme s’ils se trouvaient encore au stade initial de leur développement affectif.

Donner des limites

Pendant la première phase du développement de l’attachement, les limites et les règles doivent être réduites au minimum. C’est seulement après 4 à 6 semaines environ, quand la base d’un attachement sécurisé a été crée,qu’il s’agit d’établir des règles et des limites bien précises et de veiller à ce qu’elles soient respectées. La personne d’attachement y joue le rôle central. C’est à elle de définir ces règles et ces limites et de les « vivre » elle-même. Uniquement si elles sont ressenties comme naturelles, elles seront adoptées par l’enfant. Uniquement si la personne d’attachement ne change pas d’avis et prend une position ferme, l’attachement se transformera en
attachement sécurisé. Ce n’est pas suite à un raisonnement rationnel que les enfants adoptent les valeurs, les normes et les règles de leur environnement social, ni suite au conditionnement entre succès et échec, mais grâce à l’identification avec leur personne d’attachement.

Le travail avec les parents biologiques

En tant que personnes d’identification, les parents biologiques sont irremplaçables. La clé pour la solution du problème consiste à prouver à l’enfant et à l’aide du nouvel attachement que ses pa-rents sont précieux et de lui transmettre cette valeur que représentent des parents de façon sys-tématique. Dans ce cas, le travail avec les parents biologiques n’a donc pas comme objectif de restaurer la capacité d’attachement des parents ou de venir à bout du chaos familial accumulé. L’objectif du travail avec la famille biologique consiste à étudier le «capital symbolique» présent dans toutes les familles, de le décrire et de le rendre accessible à l’enfant. Une solution qui s’est relevée simple et prometteuse, est celle de créer un album photo sur sa propre famille d’origine avec chaque parent et d’ajouter aux photos des histoires sur les personnes figurant sur les photos. Lors du choix des informations, il s’agit de veiller à ce que c’est les aspects précieux et qui méritent d’être conservés de sa famille soient transmis à l’enfant encadré.

L’acquisition de la maturité

Une fois qu’un attachement sécurisé a pu être crée, le processus d’acquisition de maturité se déroule plutôt rapidement. Dans la plupart des cas, on peut observer de grands progrès de développement dans le délais d’un an. Ceci signifie un changement majeur pour la personne d’attachement qui vient peut être tout juste de s’habituer à considérer l’enfant comme un petit enfant. La fréquence et l’intensité du contact corporel se réduit. Le côté « physique » est remplacé par le côté rationnel. La personne d’attachement elle-même devrait vivre ce processus de maturité avec l’enfant en lui transmettant ainsi ses propres attitudes et ses propres valeurs. Les conclusions scientifiques de la théorie de l’attachement dont relèvent les procédés décrits dans cet article, datent de plus de 50 ans et ont été confirmés à plusieurs reprises par la recherche. Le fait que cette théorie ait non seulement été négligée, mais nettement rejetée depuis les années 70 dans les domaines de la pédagogie et de la psychologie mérite d’être examiné. C’est seulement pendant les cinq dernières années que la théorie de l’attachement a été redécouverte peu à peu pour prendre aujourd’hui la place qu’elle mérite selon nous.